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La colonne Vendôme
sur un lit de fumier

La Commune
La guerre civile
est déclarée

La colonne Vendôme, symbole pour les communards, du despotisme impérial et du militarisme est mise à bas. Parce que Gustave Courbet a émis dès septembre 1870 l'idée de sa destruction et qu'il y assiste, le 16 mai, il sera accusé d'en être le responsable et condamné à payer les frais de sa reconstruction.

L'étreinte se resserre

Les semaines passent et, bien que l'étreinte se resserre, c'est un Paris encore insouciant que caresse le soleil de mai. Sur les Champs-Élysées, les badauds vont à pas prudents jusqu'au rond-point, s'y arrêtent et scrutent l'avenue déserte jusqu'à l'Étoile, les volets clos, les façades mortes : là commence la guerre civile.
Maison par maison, Versaillais et fédérés se disputent Neuilly la martyre où, sous les décombres, dans les caves sans lumière, se terrent de vieilles dames, des retraités, des gosses pris entre deux feux. Les éclats des pièces de siège retombent jusqu'aux Ternes, écornent l'Arc de Triomphe sur lequel, à l'aide d'un treuil, les fédérés ont hissé cinq canons. Au pont de Neuilly, dans la poussière, gît une bannière à franges et pompons qu'avaient naïvement plantée les francs-maçons en un soir d'accalmie, et où l'on peut lire encore, en lettres d'or déchiquetées par les balles : Aimez-vous les uns les autres!
En un orage soudain s'est démasqué le formidable ouvrage de Montretout, orgueil de Thiers : soixante-dix pièces de marine aux gueules de foudre, broyant Paris au nom de la loi. Ses remparts croulant après cinq jours de pilonnage incessant, le fort d'Issy a été évacué le 8 mai. Ses défenseurs, dont la « Vierge rouge », n'ont reculé que pour mieux faire front.
Louise Michel ne quitte pas les irréductibles. Avec Paintendre et ses Enfants Perdus, on a vu sa silhouette osseuse et sa robe campagnarde dans les tranchées des Hautes-Bruyères. Derrière la barricade Peyronnet, sur laquelle elle a fait hisser un orgue de Barbarie, se profile son masque d'Euménide. Quittant un instant ce cauchemar, elle se réfugie au temple protestant près de l'état-major de Dombrowski et, songeuse, retrouve les mélodies de son enfance sur un vieil harmonium démantibulé. Là où elle est, parmi les Turcos et les Enfants Perdus, là seulement on reconnaît les purs, les fantassins des légions qui se battent sans secours et veillent sans repos.

Trouvez nous des généraux !

Les Généraux de la Commune en 1871
Ailleurs, c'est l'anarchie. A cent mètres des tranchées versaillaises, parmi des canonniers avinés ou novices, on voit des amateurs qui viennent commander le feu puis s'en vont à leurs emplettes. Promus aujourd'hui, disgraciés demain, soupçonnés sans cesse par des comités qui flairent un apprenti Bonaparte en quiconque veut agir, les officiers de carrière ne sont qu'une poignée dans la garde nationale.
« Commune! Commune! Trouve-nous des généraux ! » lance, dans son journal Action, Prosper Lissagaray.
Les généraux? C'est à peine s'ils ne sont pas tirés au sort, comme vient de l'être dans la brigade Bergeret le « colonel » Benot, le garçon boucher qui mettra le feu aux Tuileries. Théoriquement, les officiers fédérés doivent subir un examen. L'un d'eux, scieur de pierres et sous-lieutenant, est maintenu à l'état-major malgré cette mention : Kozarski Charles. Examen oral : nul. Note : O. Toute la défense de la ville est assurée par quelques chefs-nés, des « rien à perdre », en qui, d'instinct, Louise Michel reconnaît les hommes de la dernière chance. Elle se bat à Montrouge avec La Cecilia, militaire au visage glacial, à la stricte logique de mathématicien; à Neuilly avec Dombrowski, héros de trente-cinq ans, élégant et mince, follement hardi, dressé sous les éclats d'obus en gants blancs, dans sa cape de théâtre.

Rude journée ce 16 mai 1871

La destruction de La colonne Vendôme le 16 mai 1871
Tout est prêt au matin du 16 mai pour abattre le monument de la Grande Armée. Face à la rue de la Paix, un lit de paille et de fumier est établi, le fût du cylindre de bronze est entaillé au ciseau; de l'autre côté, des coins de fer s'enfoncent dans la colonne que des câbles, accrochés à la plate-forme, relient à un cabestan. A quinze heures trente, au signal de La Marseillaise, s'abattent des toiles immenses qui masquaient la cheminée napoléonienne. Les cordages se tendent, des costauds aident à la manoeuvre avec des cris rythmés. Un craquement : au premier effort, une poulie se casse.
« Trahison ! » crie-t-on çà et là.
Des ouvriers s'empressent, on tire des plans, on calcule. Des fanfares trompent l'attente du public qui, à cinq heures trente, se passe avec des rires les feuilles du soir où est décrite dans tous ses détails, comme dit Rochefort, « l'extraction de la gigantesque molaire ». Nouvelle Marseillaise, et, cette fois, sous l'effort des câbles, on voit s'incliner les quarante-quatre mètres de la colonne qui se brise en un monstrueux zigzag et, en trois fragments, s'abat sur le fumier avec un terrible fracas, dans un nuage d'âcre poussière qui fait reculer la foule. César, séparé de son piédestal, est couché sur le dos, décapité; comme une citrouille, sa tête ceinte de lauriers a roulé jusqu'au bord du trottoir. A demi suffoqués encore, les fédérés dansent une ronde autour du socle vide, y arborent un drapeau rouge, s'y font photographier avant de déboucher quelques bouteilles. Rude journée...

Le rôle de Courbet

Copurbet pendant la Commune de Paris
En ces jours d'ultime répit, où tous les bras disponibles devraient charrier sacs de sable et brouettées de pierres, la Commune s'absorbe en ses grands travaux symboliques : elle va jeter bas la colonne Vendôme.
C'est à Courbet, réputé « colonnicide », que Versailles réclamera le prix du monument napoléonien, soit 323 091 francs 68 centimes; les mémorialistes de la Commune ne laisseront pourtant qu'un rôle fort effacé au robuste et vaniteux peintre d'Ornans — esprit court, grand gosier, barbe de rapin, bourdonnante mouche du coche qui, présidant la commission des Beaux-Arts et toujours pérorant dans les tavernes, ne semble avoir eu souci que de fonctionnariser les artistes.
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